Par Henri de Lagarde Montlezun
Un petit rappel du passé vient rafraîchir notre mémoire.
Ce n’est pas si vieux ! Vous vous souvenez ?
Ecrire sur une contrée que l’on aime particulièrement, parce que pays natal, et qui demeure, malgré la fuite du temps, le centre aimé de souvenirs de jeunesse, est une tâche infiniment douce. Au milieu du labeur quotidien, lorsque la pensée s’envole vers un petit coin de terre qui connut vos ébats d’enfant, tout de suite apparaissent des sites enchanteurs, des théâtres de jeux, des visages aimés.
De leur côté, les autochtones sont loin d’être insensibles à l’intérêt qu’on leur porte et qu’on porte à la terre à laquelle ils sont restés fidèles et qui, depuis de nombreuses générations, a connu tant de bras vigoureux et de cœurs généreux.
Plusieurs légendes ont circulé autour du nom de l’Isle aux Moines, « Izenah » en Breton
La version historique est qu’en 854 Erispoe, roi des Bretons, donna cette île morbihannaise aux moines de l’Abbaye de Redon. Ceux-ci, reconnaissant la fertilité de son sol, la mirent en valeur.
Une charmante poésie, due au talent de Prosper MARTIN, dont nous reparlerons, chante ainsi la réelle beauté de l’Isle aux Moines :
« ô, mon île si belle,
Doux charme pour les yeux,
Ta splendeur me révèle
Un coin discret des Cieux… »
L’Isle aux Moines est, en effet, un lieu paradisiaque. C’est « la perle des îles du golfe du Morbihan », lui-même d’une beauté remarquable. Elle est la plus peuplée (879 habitants), la plus étendue aussi ; sa superficie cadastrale est de 310 hectares, 32 ares, 09 centiares.
Son sol granitique la protège contre la violence des courants. Aux grandes marées, certains de ceux-ci sont parmi les plus forts d’Europe.
L’Isle aux Moines, autrefois presque dépourvue d’arbres, est aujourd’hui abondamment boisée et ses gracieuses collines, qui vont du Nord au Sud, apportent encore un surcroît d’agrément.
Extrait des « Poésies du petit mousse », ce quatrain chante à ravir la paix des collines de «la perle du Golfe» :
« Quand le soleil paraît au dessus des collines,
La guêpe à taille fine et le gros bourdon d’or
Butinent avec délice vos frêles étamines
Puis, repus, abandonnent ce fastueux décor ».
La terre végétale de l’île
La terre végétale de l’île est peu profonde (de 25 à 50 centimètres), mais elle est bonne, et légère. Environ 254 hectares sont cultivés ; il y a même, à Penhap, une ferme modèle ; d’abondantes récoltes de blé, d’avoine, de seigle, de maïs, de légumes et fruits courants sont faites chaque année. Autrefois trois moulins à ventassuraient la mouture des céréales ; le dernier a cessé de tourner vers 1920.
La douceur du climat
La douceur du climat, souvent comparée à la régularité et à la clémence méditerranéenne, permet la floraison d’arbres exotiques et la presque maturité de leurs fruits. Le mimosa se plaît dans l’île, fleurit en hiver, et le 5 février, pour la fête dite de l’Adoration, l’Eglise paroissiale est parée de ses jolies et embaumantes fleurs au feuillage léger.
A la richesse du site, à l’abondance des moissons que fournit la terre, s’ajoute, avec le courage et l’amabilité des iliens, la pêche dans le Golfe et au large. De plus, autour de l’Isle aux Moines et en de nombreux endroits du golfe morbihannais, sont installés des parcs à huîtres généreux et renommés.
La chasse sur terre et sur mer
Il y a aussi la chasse sur terre et sur mer ; Pour cette dernière, il y avait autrefois de grandes quantités d’oiseaux nordiques : bernaches et canards entre autres ; mais vers 1925/1928, une maladie s’attaqua aux algues marines, et la disparition de l’herbier provoqua le départ de ces oiseaux migrateurs, qui se nourrissaient de crevettes et de petits poissons, comme aussi de la racine sucrée de ces herbes marines qui se couchaient à marée basse, « magnifique végétation evergreen qui a tenté la palette de tant d’artistes ».
Ses constructions navales
L’Isle aux Moines, pays de marins, fut aussi, du temps de « la Marine en bois », vers 1895, un centre apprécié pour ses constructions navales ; A l’emplacement occupé aujourd’hui par le Café-Restaurant de M.Labousse, existent encore les vestiges d’un treuil avec lequel des spécialistes laissaient partir à la mer des navires de 250 tonneaux.
De nos jours, on ne construit plus de bateaux dans cette île enchanteresse ; CONLEAU et VANNES, pour ne parler que des plus près, ont pris la succession. Actuellement, plus de 10 entreprises de maçonnerie, répondant au nombre sans cesse croisant des touristes, travaillent pour la construction de villas (plusieurs dizaines sont prévues pour les années prochaines).
Le sol granitique de l’île a fourni, en particulier la pointe du Trec’h, de profondes carrières aujourd’hui abandonnées. Celles-ci ont une superficie d’environ 41 ares, et, dans le temps, leur granit gris-rosé a servi à la construction de maisons, d’embarcadères et de calvaires. Le cœur du sol de l’Isle aux Moines se retrouve aussi dans les ports de Nantes, de St-Nazaire et de Bordeaux ; il se devait également d’entrer dans l’édification de l’Hôtel de Ville de Vannes.
Vers 1905, se situe le lancer d’un des premiers hydravions, construit par M. HENNEBICK, l’inventeur du ciment armé ; l’envolée eut lieu à la pointe de Penhap, où subsiste encore la plate-forme d’envol (en ciment) sur la propriété de M. Fouché, l’éleveur bien connu de chiens Chow-Chow.
Cet élevage des Chow-Chow s’ajoute à celui des bovins, des chèvres de race, des moutons et des volailles que pratiquent de nombreux îlois.
L’Isle aux Moines, par sa forme, rappelle la Foi bretonne. Cette île est, en effet comme une grande croix étendue sur les eaux bleues du Golfe (longueur Nord Sud : 5kms 600 – Est-Ouest 3kms500).
A chacune de ses extrémités, comme aussi en de nombreux carrefours, ont été érigés des calvaires. Bien qu’étant assez récent, le plus beau est celui de la pointe du Trec’h ; le plus curieux est le Christ macrocéphale au centre même du bourg ; et la croix du Bois d’Amour (du XVIème siècle) accueille les promeneurs qui arrivent par Port-Blanc comme aussi de Vannes par les vedettes.
Des monuments mégalithiques
En maints endroits de l’île, on trouve des monuments mégalithiques. A Kergonan, un vaste cromlech, irrégulièrement elliptique, d’environ 100m de diamètre, est composé de 36 menhirs de 2 à 3 mètres de hauteur. A Kerno, à l’ouest de la croix de pierre et sur la hauteur, sont les ruines d’un petit dolmen. A Brouel, les vestiges d’une chambre gallo-romaine. Dans la partie Sud, à Penhap, on peut admirer le dolmen, monument mégalithique le plus important de l’île après le cromlech de Kergonan. Neuf pierres supportent une table de 4m80 dans son plus grand axe, et de 3m60 dans son plus petit. L’épaisseur moyenne de cette table est de 0m95. A côté de ce dolmen, et couché dans un pré, se trouve un menhir d’environ 3m60 de longueur ; Ajoutons qu’en plein bourg, près d’une boulangerie, un menhir tombé sert de soubassement au mur d’un jardin.
La population, essentiellement maritime, décroît et fait place aux touristes, qui louent ou font construire. En 1890, on comptait 1450 habitants ; au dernier recensement, 879 seulement. La raison de ce dépeuplement réside dans le fait que « capitaines au long cours ou de la marine marchande postulèrent fréquemment, dans les premières années de ce siècle, pour des emplois portuaires : pilotage, remorquage, officiers, surveillants de ports, inspecteurs de navigation, etc… » De plus, l’instruction des enfants exigeant la grande ville, des ménages entiers quittèrent l’Isle aux Moines, mais gardèrent, pour la plupart, le logis du Pays Natal pour y revenir aux vacances.
Au bon vieux temps, au temps où une « forêt » de mâts se mirait dans le plan d’eau compris entre le Grand-Pont et la pointe du Trec’h, il y avait un corps de garde de douaniers, qui fut supprimé vers 1932. La cabane des douanes, construite par la brigade locale, fut édifiée non loin de la plage, ver 1896, sur un terrain offert par M. PRAUD. Tous les lundis, les douaniers faisaient l’exercice, à l’emplacement aujourd’hui occupé par la belle maison Cahours ; et, tous les ans, ils allaient à Auray et en revenaient à pied pour leur séance de tir (petite « promenade »… d’environ 35 kms !) ; Pour la surveillance en mer, « La Sirène », puis « La Jeanne », toutes voiles dehors, étaient de solides bateaux pilotés par de non moins solides gaillards.
Terminons ce chapitre par quelques mots sur « les vieux chiqueurs », ces bourlingueurs de mer, qui comme tous les marins, en virent « de dures » ; C’étaient des retraités…sans retraite ! Ils cultivaient leur lopin de terre, posaient des casiers dans les eaux du Golfe, et se retrouvaient au soleil sur un banc, pour la causette. Tout en mâchonnant, et les yeux pleins de souvenirs, ils regardaient avec mélancolie la mer qui ne voulait plus d’eux ; aux jours de pluie, ces vétérans, dont en parle encore, se réunissaient au Lério, dans un petit café au toit de chaume, chez « le Père Dutertre » – (propriété aujourd’hui remaniée et appartenant à la famille du signataire de ces lignes) – là on buvait du café venant directement des Antilles, et ce délicieux breuvage était arrosé de tafia véritable.
La paroisse
« Que j’aime mon Eglise, où tout parle et inspire :
La flamme de Présence auprès de l’Eternel,
La calme reposant et l’Odeur qu’on respire,
Le tic-tac de l’horloge et…son pressant rappel ! »
L’Isle aux Moines, en 1545, était une « trêve » d’Arradon, c’est-à-dire dépendante du Recteur de cette paroisse. L’Eglise St-Michel ne fut érigée en paroisse autonome que vers 1794, mais il y eut toujours un prêtre comme desservant de l’île.
Sans doute l’église est sans style, mais elle est très belle dans sa simplicité. Sa tour carrée, « forte au vent », se voit de très loin. Son porche cintré est accueillant ; Ses vitraux jettent des teintes irisées sur le Sanctuaire, jouent sur les boiseries (certaines sont classées monuments historiques), et caressent de leur feux les massifs piliers de granit.
Les archives paroissiales nous donnent les noms des recteurs qui s‘y sont succédés depuis 1802 :
- 1802/1825 Abbé Jean Le Gouguec
- 1825/1829 Abbé R. Candalh, à qui l’on doit l’agrandissement de l’Eglise, et en 1827 la construction du presbytère
- 1829/1862 Abbé Corneille le Diot
- 1862/1865 Abbé Joseph Bourdy
- 1865/1868 Abbé Pierre Guillot
- 1868/1877 Abbé Jean Le Cosse, qui a fait modifier l’Eglise, construire les déambulatoires et la chapelle derrière le chœur
- 1877/1887 Abbé Vincent Morel
- 1887/1893 Abbé Jean Caignard
- 1893/1899 Abbé Louis Diffon
- 1899/1912 Abbé Alexandre Allaniou
- 1912/1921 Abbé Jules Destumer
- 1921/1926 Abbé Adolphe Corric
- 1926/1930 Abbé Mathurin Héno
- 1930/1951 Abbé Pierre Dréan, qui a réalisé la construction actuelle du chœur
Depuis 1951, la paroisse est dirigée par M. l’Abbé Jean ROBIN. Ce prêtre dynamique, aimé de tous, est sans doute l’un des recteurs qui ont réalisé le plus de travaux, et le cours actuel de la vie ne lui a sûrement pas facilité la tâche. Un nouveau maître-autel en granit poli, remplaçant l’ancien de façon très heureuse, a été consacré par Monseigneur LE BELLEC, Evêque de VANNES, le 21 JUIN 1955.
Aidé par la Municipalité et la générosité des paroissiens, M. l’Abbé ROBIN a pu mener à bonne fin la réfection de la chapelle de Notre-Dame d’Espérance, la modernisation de l’Ecole Chrétienne tenue par les religieuses du Saint-Esprit, le rejointoiement des murs du presbytère, et l’aménagement intérieur de celui-ci. D’autres travaux d’envergure se précisent, en particulier ceux concernant la toiture de l’Eglise. (Ce n’est pas une mince affaire !)
La Saint Michel
La Fête patronale est « la Saint-Michel » (29 septembre). A cette occasion, l’Eglise paroissiale revêt ses plus beaux ornements. A la fin de l’Office, une procession s’organise, à laquelle toute la population autochtone prend part, ainsi que quelques touristes attardés.
Rentrés chez eux, les habitants prolongent cette grande Fête, invitent des amis, et, au dessert, le traditionnel gâteau breton, parfumé à la bergamote ou au citron, et le far aux pruneaux, sont généreusement offerts. (On se rappelle encore, non sans émoi chez les « anciens », « la tranche du marin » !)
En général, il fait beau temps ; c’est, dit-on l’été de « la Saint-Michel ».
Une autre fête marque également l’Isle aux Moines : « la Sainte-Anne » (26 juillet).Des jeunes filles, vêtues du beau costume des îliennes, portent la statue de la vénérée Sainte, Patronne des Bretons et des marins ; Avec foi, on chante des cantiques, et la procession se rend, par de jolis chemins en bordure de mer et à travers champs surplombant le golfe, dans la « priante » petite Chapelle du Guéric, où des exvoto et des tableaux de mer évocateurs marquent la reconnaissances et la fidélité des marins à leur céleste Protectrice.
Le 15 août
Au 15 août, nouvelle procession aussi suivie que les précédentes. Aux tenues estivales des touristes, nombreux à cette époque, se mêlent avec grâce les coiffes de mousseline blanche sur des bonnets en dentelle d’Irlande, les châles ouvragés et de teintes claires ou sombres, selon l’âge, les robes de drap fin aux larges bandes de velours, à la guimpe et aux manchettes d’Irlande, les tabliers de moire, de soie ou de velours brodé. Le parcours est le même que pour « la Saint-Michel ». Le long et pieux cortège se déroule vers la pointe du Trec’h et revient à l’Eglise paroissiale par des petites routes sinueuses, bordées de murs de pierre sèche et de coquettes maisons.
Avant d’aborder le sujet qui a trait à la translation de la statue de St-Vincent Ferrier à l’Isle aux Moines, nous dirons que les cloches paroissiales, qui sonnent depuis de si nombreuses années, et s’entendent loin sur le Golfe, ont été offertes par la famille Rozo. La cloche qui appelle les enfants à l’Ecole Chrétienne a été placée aux environs de 1915, et eut pour parrain et marraine : M.Vincent Désiré et Mme Pierre Cario, née Marie-Thérèse Daniel.
La statue de Saint-Vincent Ferrier
Cette très belle statue (du XVIème siècle) est en poirier et reproduit fidèlement les traits du grand missionnaire qui séjourna au pays Vannetais du 18 mars au 11 avril 1418. Abîmée par le temps, cette statue est aujourd’hui réduite à un buste.
Dans l’ouvrage de P.Nicol sur cette statue, on lit le passage suivant, extrait du registre des délibérations capitulaires :
« Le Vendredy premier septembre mil sept cent quatre vingt, ont été présents en chapitre Messieurs de Douhet, Duchesne, de la Pommeraye, de Grimaudet, Blanchet et de Keroignant, tous chanoines assemblés pour délibérer de leurs affaires, après le son de la cloche fait par trois fois à la manière accoutumée ; sur ce qui a été représenté par M. de Douhet que Madame Le Gris souhaiterait fort qu’on lui donne le Buste de Saint-Vincent Ferrier, qui était ci-devant placé sur l’autel du Tombeau et qui est maintenant dans une des chapelles de l’église cathédrale. Le Chapitre a saisi avec plaisir cette occasion de reconnaître le zèle avec lequel Madame le Gris s’est toujours appliquée à la décoration de la chapelle de Saint-Vincent Ferrier et luy a unanimement accordé le buste par elle désiré ».
Le Dimanche 8 Octobre 1780, la statue du Saint fut « avec un grand éclat transportée à l’Isle aux Moines, et déposée dans l’église tréviale, en la chapelle de Saint-Michel »
Vers 1842, pour raison de travaux dans l’église, elle fut provisoirement rangée dans la sacristie. Mais le recteur d’alors, jugeant la statue trop vermoulue, en fit faire une autre en plâtre et relégua « le saint en bois dans la tour de l’église, puis au presbytère, dans un grenier. »
En 1902, M. Allaniou, recteur à l’époque, fit restaurer la statue, de laquelle il fallut retrancher une partie trop endommagée. Le travail fut confié à deux artistes vannetais : MM. Laumônier, peintre verrier et Tombe, sculpteur sur bois. Après décapage des couches de peinture et rebouchage d’une large fente qui coupait le visage, on se rendit compte de la réelle valeur de la statue, dont on ne put, malheureusement, conserver que le buste. Celui-ci, le 28 septembre 1902, en la solennité de Saint-Michel, fut porté processionnellement du presbytère à l’église, en présence d’une foule nombreuse d’îlois et de vannetais.
Monseigneur Latieule, Évêque de Vannes, accorda une parcelle notable des ossements du grand Saint, dont le buste, avec le reliquaire, fut placé du côté de l’église contre un des piliers du chœur, dans une niche en chêne sculpté.
La commune
Les insulaires, étant en grande partie des marins qui, surtout au temps des voiliers, naviguaient jusqu’à un âge très avancé, ne pouvaient guère avoir des maires jeunes, ce qui n’empêchait pas ces derniers d’être compétents, dévoués à leur pays d’origine et dieu sait combien courageux !
Depuis 1880 se sont succédés : MM ; Praud, Mercrett (ce dernier au temps des inventaires, en Février 1906), Lefranc, Mahéo, Layec, Thébault, Créquer, et actuellement M. Vincent Thébault ; Ce dernier, ancien capitaine de la Maine Marchande et titulaire de nombreuse décorations, (comme d’ailleurs la majorité des membres de son conseil municipal), compte 36 ans de mairie, dont 26 comme Maire.
« Avant d’avoir son diplôme officiel de la Marine Marchande, M. Vincent Thébault s’embarque sur le trois-mâts goélette « Antoinette ». De 1909 à 1911, il assure le transport de mules de Buenos-Aires aux îles de l’océan Indien. Lors d’une traversée, après 5 mois ½ de navigation entre Samarang (port de Java) et Nantes, le second de « l’Antoinette » décède du scorbut ; Le commandant devient aveugle par le même mal. C’est alors M. Vincent Thébault qui, bien qu’atteint lui-même par cette terrible maladie, prend le commandement du voilier et le ramène sous Belle-Isle. »
Assistent M. Thébault : comme Marie-Adjoint, M. Alexandre Pitard, et comme Conseillers : MM. Le Divellec, Martenot, Evenou, Jan, Eon, Gachet, Premat, Marion, Mellec, Le Docteur Billaud, et Mme Yve Renaud (celle-ci spécialement chargée du Bureau de Bienfaisance).
Nous ne saurions oublier l’aimable secrétaire de Mairie : Mme André Le Vue, qui compte déjà 13 années de secrétariat. Elle remplit son rôle, parfois ingrat, avec le sourire et une rare compétence. Elle est la digne descendante d’une famille qui compte près de 100 ans de secrétariat à la Mairie. Son oncle, M. Prosper Martin, mort le 18 Janvier 1955, tint, avec une égale fidélité, le même poste de secrétaire pendant 33 ans. Son dévouement inlassable, son acharnement à la besogne, le fini de son travail, lui valurent les médailles d’argent communale et départementale. Poète qui a chanté les charmes de son île en maintes occasions, M. Prosper Martin, pour cela, pour beaucoup d’autres écrits, pour les nombreux services par lui rendus, était Officier des Palmes Académiques. Les années passent, mais personne n’a oublié ce que fut cet homme de bien, et son île, qu’il aimait tant, qu’il a tant défendue, en particulier lors des inventaires et sous l’occupation allemande, garde jalousement son souvenir.
Que de travaux ont été faits, notamment par la Municipalité actuelle, nécessités par les détériorations dues au temps, aux effets de la mer ou du vent, à la progression constante du tourisme dans l’i1e ! Qu’on en juge.
- 1930 marque la première année de l’électrification de l’île par Penhap-Le Logeo.
De hauts et solides pylônes supportent les fils d’alimentation, qui franchissent la passe large d’environ 800 mètres. - 1932/1933 : sur la route du Guéric, 320 m de digues sont reconstruits. Pendant les mêmes années ou le chômage privait les marins de leur salaire, 15 hommes sont alors employés pour une réparation sérieuse des routes de l’île.
- 1937 : la Municipalité refait complètement la voûte centrale de l’église Saint-Michel, répare la tour, et fait placer les cloches sur des roulements à billes.
- 1951 : création d’une compagnie de sapeurs-pompiers, et achat de matériel contre l’incendie.
- 1952 : construction du mur de la place de l’Eglise.
- 1955/1956 : Bitumage des routes et réparations diverses.
- 1956 : Achat de 48 ares de terrain dans la partie Sud du Bois d’Amour.
- 1957 : Installation de l’éclairage public par des tubes au néon.
- 1958 : Réparations et transformation des bâtiments de l’éco1e publique du Rinville.
- 1960 : Achat de terrain pour l’é1argissement de la route de Penhap, et réfection de cette route.
- Même année, 1960 : élargissement de la cale de Toulindag, appelée plus communément » Le grand pont «
- 1960/1961 : L’Entreprise Beuve réalise l’adduction d’eau. Le captage se fait au » Pont Sal « , près du Bono, sur la route d’Auray, dans la rivière qui alimente également les communes d’Arradon, Baden, Larmor-Baden, Le Bono, Ploeren et Plougoumelen. Le barrage se trouve en cette dernière commune, et c’est le Docteur FRANCO, de VANNES, Conseiller Général, qui est à l’origine du projet.
- Actuellement, la Municipalité fait procéder à l’élargissement de la chaussée qui conduit au Grand Pont, en bordure de mer; elle prévoit, pour la création d’un sens unique, la construction d’une route de 7 m de largeur, reliant la Rue Neuve au Toulpry.
Mentionnons aussi, comme activité municipale, les magnifiques régates qui, chaque année, se déroulent face à la plage, sur le plan d’eau de Beg er Mendu; elles attirent des foules considérables, et, en ce jour de fête, binious et bombardes animent des danses folkloriques.
Postes et télé communications
Le bureau des » P. & T. » de l’île est de quatrième classe, mais sans doute sur le point de passer en troisième, en raison de l’importance du trafic postal, particulièrement fort au mois d’août.
La directrice de ce bureau est actuellement Mme Villet, à l’amabilité de qui nous devons les renseignements qui suivent, et qui ne manquent pas d’intérêt.
– En hiver, deux » préposés » assurent la distribution journalière du courrier; il en faut au moins trois en été pour ce service.
– Arrivent à l’lsle aux Moines en moyenne et par an 50.000 lettres, 23.000 journaux, et de 3.000 à 3.500 paquets, pendant qu’il en part 45.000 lettres et 3.000 paquets. (A souligner que ces chiffres ne tiennent pas compte du mouvement postal durant la période d’été).
C’est vers 1906 que le bureau local fut doté du téléphone. Vers 1924, les deux premiers abonnés furent MM. Vinet et Le Corre. Aujourd’hui, sur 879 habitants, 70 sont abonnés au téléphone. Cette proportion permet à l’île de détenir » le ruban bleu » dans ce domaine, comme aussi dans celui de la télévision.
Nous ne saurions oublier Mme Vve Aubert, décédée en 1954 à l’âge de 98 ans, et qui, allégrement, jusqu’à 93 ans, portait les télégrammes à domicile et par tous les temps. Elle faisait, l’admiration de tous par son amabilité et sa » jeunesse « .
Marins et salaires d’autrefois
Qu’on nous permette ce quatrain, bien de l’Isle aux Moines; il servira d’introduction à ce chapitre :
» Dans le chenal du port, où se mire la lune,
Des-barques au mouillage ont le baiser du flot;
Et là-bas, près du môle, une voilure brune
Grimpe le long d’un mât que termine un falot « .
Les thoniers
Vers 1895, nous dit un vieux marin, il y avait une trentaine de thoniers à l’Isle aux Moines Ils partaient de Juin à Septembre, parfois même jusqu’à fin Octobre. Beaucoup reprenaient alors la haute mer pour le chalut d’hiver.
Il y a environ un siècle l’île était particulièrement prospère, et, « à une époque où le trafic ferroviaire n’assurait pas encore l’acheminement des marchandises d’un pays à un autre, elle possédait un certain nombre de capitaines, armateurs de voiliers « .
Des maisons, particulièrement cossues, sont le témoignage de ce riche passé.
Ces demeures, comme aussi les plus humbles, sont toutes imprégnées de la valeur spirituelle du marin, de son goût pour la netteté, pour la coquetterie même; elles sont le fruit du courage de ces hommes de la mer et de leurs familles, si souvent aux prises avec l’inquiétude, pour ne pas dire avec le chagrin. ..
…. » Oh ! Combien de marins, combien de capitaines…. «
Pour la grand’ pêche, des patrons îlois commandaient des grande dundees, Dans la marine du commerce, de nombreux capitaines au long cours avaient l’entière responsabilité des bateaux des Compagnies Bordes et Nantaise, entre autres. Au cabotage, c’étaient encore des capitaines originaires de l’Isle aux Moines qui commandaient les goélettes rapides qui rapportèrent de St-Pierre et Miquelon les premières pêches de morue. Ces caboteurs faisaient aussi les bois du Nord, les blés de la Mer Noire. Les gros bricks ou bricks-goélettes et dundees transportaient les charbons d’Angleterre, le sel du Portugal pour les Islandais. L’activité maritime était intense sur toutes les mers, et, en tous pays du monde sont allés les marins de la petite Isle aux Moines, si grande par son cœur généreux.
A cette époque de la Marine à voiles, les absences étaient longues : de 15 à 24 mois pour les long-courriers. Pas de congés payés, et, en cas de maladie, l’homme était tout simplement débarqué et n’avait droit à aucune indemnité.
Vie rude sur la mer et dans les ports, vie que ne venait pas agrémenter une nourriture variée. Les conserves n’existaient pas comme maintenant, les séjours en mer étaient longs, et trop souvent le marin, dans l’inconfort, » dégustait » sa pitance, que de » gras parasites » habitaient.
Quant aux salaires des environs de 1900, voici quelques chiffres : matelot au long cours : 70 Fr par mois; matelot au cabotage : 60 Fr; matelot léger : de 45 à 50 Fr; mousse au long cours : 20Fr, au cabotage : 15Fr ; et le novice, c’est-à-dire le mousse eu passe de devenir matelot, touchait de 25 à 30 Fr. A ces salaires…. de misère, correspondaient ceux de la côte, tout aussi éloquents. Pour le dragage des huîtres dans les parcs, le travailleur n’avait que 20 sous par jour, et, à la maison, une active fileuse mettait dans sa cagnotte 6 sous par pelote travaillée.
Progression du tourisme
Autrefois, le passage Port-Blanc/ Isle aux Moines était assuré par un petit voilier, ou par un bateau à rames lorsque la brise faisait défaut. Beaucoup se souviennent des passeurs MM. François Mandard, père et fils. La première vedette, » Le Bengali « , date de l927. Maintenant, ce goulet, qui sépare l’île du continent, est traversé (en moins de cinq minutes) par de nombreuses, fortes et rapides vedettes.
Par la pointe du Trec’h, on gagnait autrefois le continent au moyen de voiliers, qui débarquaient alors sur la commune d‘Arradon. Aujourd’hui, cette pointe n’est plus reliée à » la terre » par un service régulier.
Par route, au temps jadis, une cahotante diligence, » La Patache « , conduisait les voyageurs d’Arradon à Vannes. Aujourd’hui, de Port-Blanc, par des cars luxueux et réguliers, on met moins de 2O minutes.
Pour Vannes, par mer, le transport des marchandises s’est longtemps effectué par des voiliers de 3 à 5 tonneaux; puis la motorisation est venue remplacer ces gracieuses mais lentes embarcations, qui mettaient souvent plus de deux heures pour se rendre à Vannes. (Un hors-bord de sport met aujourd’hui 11 minutes !).
Le premier » vapeur » porta nom » Le Saint-Jules « ; puis ce furent : » La Marguerite « , » Le Vannetais « , » Le Saint-Hubert « , « Le Morbihan « , » La Ville de Vannes “, » Le Gavrinis « , » Le Roi Gradlon « ; puis les vedettes au mazout : » Le Joseph Le Brix « , » Er Lannick « , » Le Médoc « , et “ La Fée des Iles « . C’est de leur époque que datent les excursions, si nombreuses et goûtées, sur le Golfe, de Vannes à Port-Navalo, puis du Golfe à Belle-Isle (alors par » Le Roi Gradlon « ).
De nos jours, en plus de beaucoup d’autres services épisodiques, les » Vedettes Blanches » (en toutes saisons) et les » Vedettes Vertes » (l’été seulement), assurent un transit qui croît d’année en année, tant est beau le golfe Morbihannais. (Un missionnaire, grand voyageur, l’a comparé au Lac de Tibériade ).
De quelques dizaines au début du siècle, c’est par milliers aujourd’hui que les estivants abordent cette région bretonne, en cars ou en voitures particulières. Déjà le vaste » parking » de Port-Blanc, construit depuis quelques années seulement, et qui peut contenir plus de 300 véhicules, s’avère trop petit. Les Ponts et Chaussées en prévoient un autre.
Par mer, de luxueux yachts privés, et de tous tonnages, viennent de Turquie, d’Australie, des U.S.A. et d’Angleterre. Ils ancrent dans le Golfe, et certains, de leurs lointains pays, mettent chaque année le cap sur le nôtre.
Dans l’Isle aux Moines, comme partout dans notre chère Bretagne, se sont créés de confortables hôtels, des restaurants réputés, où l’on déguste » les fruits de la mer « , et des spécialités locales fort appréciées. Au début du siècle, deux modestes hôtels ne servaient des repas que pour les mariages. L‘H6tel Couturier était le ralliement des capitaines au long-cours; ils y jouaient aux boules. L’Hôtel Petit tenait bureau de tabac, et les capitaines au cabotage s’y réunissaient. Que de changements aujourd’hui l On refuse souvent » du monde » dans les hôtels et restaurants de l‘île, au nombre de six.
Boulangeries
Jadis, dans les deux boulangeries ( » aux fagots « ), on ne faisait que deux fournées en hiver, et trois en été (de gros pain surtout). Pendant le mois d’août 1961, les fours » au mazout » de ces deux boulangeries suffisaient à peine, malgré six fournées chacune, pour satisfaire, en croquantes flûtes ou autres pains de 1uxe, les estivants, campeurs et autres.
Dans le bourg, si sympathique avec ses petites ruelles, se sont implantés de nombreux magasins aux étalages fournis. On trouve presque de tout dans cette île généreuse. A côté des » objets souvenirs « , on peut acheter du tissu, certains vêtements, des articles de ménage de tous ordres. Quant au ravitaillement, pour la maitresse de maison soucieuse de préparer des repas complets, rien ne manque ; des conserves pour les plus pressées, des fruits et légumes frais pour les autres; et d’autre part rôtisserie, boucheries et charcuteries, cafés nombreux » avec casse-croûte « , s’offrent aux touristes.
Le calme de l’Isle aux Moines est des plus reposants, On vit vieux au contact de » La Perle des Iles « , et nous en donnons pour preuve le nom des dernières centenaires (auxquels il conviendrait d’ajouter ceux de nombreux et nombreuses octogénaires et nonagénaires) :
– Mme Vve Julée (la doyenne), décédée à 106 ans;
– Mme Vve Créquer, décédée à 102 ans;
– et Mme Vve Aubert, que nous citions dans le chapitre » P. & T. « , décédée à 98 ans.
La beauté incontestable et incontestée de l‘Isle aux Moines, ses couleurs perpétuellement changeantes, mais toutes aussi belles, la douceur de son climat, et son calme incomparable, ont charmé des célébrités de tous pays et de tous ordres, dans tous les domaines, en particulier dans le monde artistique et littéraire.
A L’Isle aux Moines,
» La Chaumine » août 1961.
H . de Lagarde Montlezun
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