Izena du Pacifique Patrick Prado

 

Je suis allé l’été dernier à Okinawa dans les îles Ruy Kyu en mer de Chine entre Taïwan et le Japon méridional. Au nord-est d’Okinawa, île japonaise ravagée par un des plus cruels épisodes de la guerre du Pacifique entre les USA et le Japon (des milliers de morts, des centaines de suicides collectifs de familles de l’île). Là, se trouve une île nommée Izena. Le kanji central zê,   伊-I-是-ZE-名-NA, idéogramme chinois qui la nomme, signifie  « ce qui est droit », « ce qui est juste », mais l’écriture est phonétique et  le nom d’origine n’est pas vraiment connu. Je ne pouvais manquer de regarder Izena… de loin, n’ayant pas eu le temps d’y faire un aller-retour a partir d’Okinawa.

On voit sur cette photo ses montagnes dans la brume derrière le bateau. Izena est aussi le nom du village principal. Les îles Ryu-Kyu ont été longtemps un royaume indépendant que les empires du Chine et du Japon se sont disputées jusqu’à ce qu’elles deviennent définitivement japonaises au XIX° siècle. Le roi Shō En, premier roi de la seconde dynastie des Ryu-Kyu, était originaire d’ Izena. L’île fait 15 km2, (notre Île aux Moines  en fait un peu plus de 3). La population se chiffre à  1764 habitants, soit  trois plus que notre ile. Voici le site de l’île, mais il est en japonais … : Izena village homepage. Un ferry y va chaque jour a partir de Motobu sur  l’île principale. Le trajet dure environ une heure et demie.

Or, il se peut qu’il y ait une histoire entre cette île et les marins bretons qui séjournèrent a Okinawa au milieu du XIX° siècle.

Avant 1845, de bonnes relations s’établissent entre les marins et commerçants français, anglais et américains, avant qu’ils ne se  fassent concurrence avec tous les moyens habituels dans les guerres commerciales et coloniales. La population est très accueillante, curieuse, ouverte à l’ extérieur, elle soigne les marins étrangers, élève des monuments aux  péris en mer. Mais, leur présence devenant encombrante pour le gouvernement japonais, celui-ci interdit aux habitants  ces relations et d’apprendre les langues étrangères occidentales. Certains furent exécutés, torturés pour n’avoir pas respecté ces consignes. La concurrence entre pays européen fait rage. Le navire de guerre français Alcmène  jette l’ancre a Naha, la capitale d’Okinawa en 1844, et demande des privilèges commerciaux qui sont refusés. Les Français, selon un historien américain, annoncent alors aux Japonais que les Anglais veulent envahir le Japon à partir d’Okinawa et leurs propose protection… Nouveau refus. Bref, d’enchaînements en enchaînements les Français débarquent un missionnaire catholique, l’abbé Forcade et son assistant chinois, Augustine Ho, un « chrétien de riz » comme on disait alors, qui doit apprendre la langue locale pour traduire les traités que roi de Ryu Kyu ne manquera pas de signer avec Napoléon III. Les Hollandais débarquent à leur tour et sabotent le programme, les Anglais complotent contre les Français. Fourcade fait son rapport selon lequel  « les Okinawaïens sont un peuple heureux qui désirent ardemment se faire des amis, mais nous sommes surveillés, épiés…). Un second navire de guerre est envoyé par la France en 1846, le  Sabine. Un second prêtre est débarqué, l’abbé Le Turdu, je n’en sais pas plus sur lui, mais avec ce nom,  peut-être est-il breton. Deux autres navires de guerre français, le Cléopâtre et la Victorieuse  ont prévu de faire jonction au port de Unten,  au nord d’Okinawa, en face duquel se trouve notre Izena. Et la rencontre se fait le 7 juin 1846, malgré les objections des autorités iliennes et japonaises. Les Français débarquent avec fanfares et trompettes à l’étonnement des pêcheurs et marins locaux. Les Anglais, les Américains, les Hollandais en font autant chacun de leur côté.Mais rien ne marchera comme prévu. Finalement, l’Américain Perry touche Okinawa en 1856,  avant même d’aborder  la grande île du Japon, et tout va basculer. On connait la suite.

Vu le nombre de marins bretons embarqués sur les navires de la Royale et sur les navires marchands, en particulier du Morbihan, de l’Île d’Arz, de l’Île aux Moines, je me suis pris à imaginer certains d’entre  eux rêvant de leur Izenah en regardant au loin l’Izena du Pacifique. En cherchant bien dans les registres maritimes de  cette époque et les listes d’embarquement sur ces navires, on trouverait peut-être relation de ces missions sur l’île japonaise. L’enquête continue. Au fait, un jumelage entre Izenah et Izena? Le maire de l’île lointaine est parait-il fort sympathique. En tout cas, quand j’ai raconté aux pêcheurs d’Okinawa, avec qui j’ai fait la pêche aux oursins( énormes les oursins), d’où je venais, ils m’ont carrément pris pour l’un des leurs, saké et force chansons aidant évidemment.

Okinawa, l’île aux 740 centenaires, c’est-à-dire ceux qui sont réchappés du massacre de 1945. Les centenaires minces comme des abeilles, croisent des jeunes gens obèses comme des bourdons. Les premiers ont conservé leur alimentation à base de poissons, légumes et thé. Les seconds se sont rabattus sur la plus grande concentration de fast foods du Japon, installés en même temps que les bases américaines. Okinawa détient maintenant le record d’obésité, de diabète et de maladies cardiaques.
Il faudra vérifier s’il y a un fast food à Izena.

Patrick Prado

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